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Le français régional
Idées reçues
Il existe de nombreuses idées reçues... pour ne pas dire de nombreux malentendus au sujet de notions importantes liées au français et plus particulièrement au français régional. Il est temps maintenant de mettre au point certaines notions et de tordre le cou aux mauvaises définitions.
Voici une série d'idées reçues. Réfléchissez bien à leurs significations. A deux, essayez de corriger vous-mêmes ces affirmations en usant de votre bon sens et de ce que vous avez déjà appris dans l'atelierdeslangues.
NB: quand nous parlons ici de "dialecte" / "langue régionale" sans précision, nous nous référons aux dialectes / variétés régionales du français.
► le français ne varie que dans l'espace
*FAUX!* Le français, comme toute langue vivante, peut varier selon de multiples facteurs comme par exemple le temps (on parle alors de variation diachronique), les couches sociales ou le niveau de scolarisation des locuteurs (variation diastratique) ou encore la situation de parole (variation diaphasique; on ne s'exprime pas de la même manière lorsqu'on s'adresse à son directeur ou à son meilleur ami).
La variation dans l'espace (variation diatopique) est donc un type de variation parmi d'autres... Cela dit, il s'agit probablement du type de variation le plus flagrant en termes synchroniques (autrement dit celui qui nous frappe le plus, en tant que locuteur actuel du français).
► le français standard est le seul "bon" français
*FAUX!* Le français est une langue qui vit, ce qui implique qu'elle connaisse différents types de variations (voir ci-dessus). Le français standard est en quelque sorte la langue de référence (celle qui ne présente pas de marque régionale; on parle généralement de marque / marquage zéro).
Elle est certes le point de départ à partir duquel sont définies les variétés régionales (ce qui peut lui donner un caractère un peu artificiel; aucune langue n'est jamais réellement neutre, du moins à l'oral), mais il s'agit d'éviter, d'un point de vue scientifique, tout jugement de valeur par rapport aux différentes variétés du français.
Il n'existe pas de "bon" ou de "moins bon" français; le français est simplement une langue riche et variée.
► le "français régional" est la variété de français que l'on parle / écrit en-dehors du territoire de la France
*FAUX ET ARCHIFAUX!* Le français régional existe dans toutes les régions où l'on parle / écrit le français, y compris en France. Chaque état, région, canton, département, province connaît des spécificités (au niveau de la prononciation, de la prosodie, du lexique, du sens des mots, de la phraséologie, etc.). Ces spécificités peuvent être répandues à différentes échelles (communes à différents pays francophones, restreintes à un canton particulier, propre à une commune spécifique, etc.), mais elles sont présentes partout.
► "dialecte" et "langue régionale" sont des synonymes
*FAUX!* Voici cette distinction importante expliquée par le prof. A. Thibault (Paris, Sorbonne):
"Le français et les patois [synonyme de dialectes] galloromans ont en commun d’être tous issus du latin vulgaire de Gaule ; la différence entre eux est que le français est devenue une langue normée [uniformisée, standardisée] et commune à tout l’état français ainsi qu’à toutes les situations d’énonciation [on parle alors de langue-toit], alors que les patois sont très dialectalisés [très différenciés d’un endroit à l’autre] et ont été restreints à des fonctions de proximité, d’intimité, de ruralité."
(Source: http://pagesperso-orange.fr/andre.thibault/FrancophLicenceSemaine2.3.pdf)
► le patois est un français "déformé"
*PAS DU TOUT!* Les patois sont les descendants directs de l’évolution locale du latin vulgaire qui était parlé en Gaule. Ils ont donc littéralement la même origine que le français.
Ce qui les distingue notamment, c'est le fait que le français ait acquis le statut de langue standard, normée, alors que les patois sont demeurés des langues presque uniquement parlées, sans codifications.
► les mots de français régionaux sont toujours limités à un état (pays) particulier
*FAUX!* Certains régionalismes peuvent être largement répandus dans plusieurs pays francophones, alors que d'autres peuvent être restreints à une seule petite commune.
Cela dit, les régionalismes limités à un état particulier existent: on les appelle des statalismes, autrement dit des "variantes linguistiques (en général des lexèmes) dont l’aire d’extension coïncide avec les frontières d’un état ; c’est souvent le cas du vocabulaire institutionnel relevant des structures gouvernementales (cf. France lycée, Belgique athénée, Suisse gymnase, Québec cégep)." (cf. A. Thibault, sur http://pagesperso-orange.fr/andre.thibault/FrancophLicenceSemaine2.1.pdf)
► la variation du français est un phénomène récent, qui n'existe que depuis que tout le monde francophone parle un français standard
*FAUX!* La variation est propre à la langue! Dans le cas du français, la variation dans l'espace prend en quelque sorte sa source au moyen-âge, au moment où l'on commence d'écrire différentes scriptae régionales (langues écrites régionales), ayant toutes pour origine commune le latin vulgaire parlé en Gaule.
► les particularités régionales du français sont uniquement des mots archaïques (survivances d'emplois autrefois répandus en français standard mais qui n'y ont pas subsisté)
*FAUX!* Même si de nombreux termes de français régional sont des mots conservés plus longtemps dans certaines régions (en général périphériques, éloignées d'un centre urbain important) qu'en français "standard", les archaïsmes ne sont pas la seule forme de termes régionaux que l'on puisse trouver dans les différentes variétés du français.
On trouve p.ex. également: de nombreuses innovations (appelées néologismes), des emprunts aux langues que le français de certaines régions côtoie (ces emprunts peuvent être plus ou moins adaptés au français, p.ex. en faisant des adaptations phonétiques, orthographiques, etc.), ou encore des dialectalismes (qui sont un type d'emprunt particulier, aux dialectes parlés dans certaines régions).
► les dialectes ont tous disparu
Ça, malheureusement (?), ce n'est pas totalement faux! La plupart des dialectes héréditaires parlés autrefois sur les territoires où l'on parle français aujourd'hui ont disparu. Ils ont été petit à petit, à la suite d'une série de diverses (r)évolutions (Révolution française et son concept fondamental d'égalité; invention de la presse et son besoin de langue de rédaction unifiée; instauration de l'école obligatoire et sa nécessité d'enseigner une langue commune; invention de la télévision et ses conséquences de diffusion d'une langue unifiée dans tous les foyers, etc.) évincés par le français de référence et ne subsistent aujourd'hui que dans quelques régions marginales (comme p.ex. Évolène en Valais).
Et l'allemand?
Savez-vous qu'elle est est la situation de l'allemand et de ses dialectes aujourd'hui (en Suisse par exemple)? Dans quelle mesure est-ce comparable au français?
--> pour la réponse, rendez-vous à l'unité 8.3...
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